Débat fructueux sur l’avenir de la phagothérapie en Suisse

Dialogue, Savoir

Table ronde et première du film

Recherche multidisciplinaire de solutions

La première du film «La phagothérapie, la médecine devient virale», organisée en août 2025 au cinéma Rex de Berne a suscité un vif débat sur l’avenir de la phagothérapie en Suisse. Une projection suivie d’une table ronde à laquelle participaient le Professeur Christian Van Delden*, responsable de la phagothérapie présentée dans le documentaire. A ses côtés, l’experte en antibiotique Catherine Plüss-Suard* et Thomas Häusler*, le réalisateur du film. Ensemble, ils ont débattu devant un public composé entre autres des représentants de Swissmedic, l’Autorité d’autorisation et de contrôle des produits thérapeutiques, des membres de l’Académie suisse des sciences médicales et du Table ronde suisse sur les antibiotiques. Une discussion modérée par la journaliste Patricia Michaud. Le Forum Recherche génétique de l’Académie suisse des sciences naturelles a organisé la première, commandé et financé le film.

Résumé par Thomas Häusler, Forum Phagothérapie

Regarder le film ou consultez la FAQ, pour obtenir un aperçu de la phagothérapie et de sa situation en Suisse.

Sauver des vies

S’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, Christian Van Delden, infectiologue aux Hôpitaux Universitaires de Genève, n’hésiterait pas une seconde à administrer des phages, comme il a pu le faire dans le film à José-Maria Vidal. Ce traitement par les phages de dernier recours lui a sauvé la vie. L’infectiologue Van Delden a donc réaffirmé sa décision d’utiliser les phages, malgré que cette thérapie ne soit pas autorisée en Suisse. En effet, il n’existe pas de preuves cliniques de leur efficacité. Ils ne peuvent donc être utilisés qu’en cas d’urgence et dans le cadre de règles strictes. Cependant, de nombreux cas cliniques indiquent que les phages peuvent aider les patients atteints d’infections résistantes aux antibiotiques, chez lesquels l’utilisation d’antibiotiques pendant des années s’est avérée inefficace.

Dilemme face aux infections chroniques résistantes

« Nous voyons de plus en plus de patients atteints d’infections pulmonaires chroniques qui ne sont pas en phase terminale, mais qui souffrent d’une forte diminution de leur qualité de vie », a déclaré Christian Van Delden. Dans de tels cas, les phages ne peuvent pas être utilisés, même s’ils pourraient améliorer l’état de santé, au moins temporairement. C’est ce que suggèrent les rapports de cas.

Christian Van Delden et son équipe cherchent désormais des solutions pour aider ces patients. Mais cela s’avère difficile, car les essais cliniques sont complexes et coûteux. C’est pourquoi une collaboration avec Swissmedic, qui autorise et supervise les essais cliniques et homologue les médicaments, est nécessaire. Peut-être serait-il possible de traiter dans un premier temps un petit groupe de dix patients afin de jeter les bases d’une étude à plus grande échelle.

Point crucial : bonnes pratiques de fabrication (BPF)

Un représentant de Swissmedic a assuré que l’Autorité était consciente de ces défis et est ouvert à soutenir les chercheurs, les médecins et les institutions académiques afin de permettre la réalisation d’essais cliniques sur le plan réglementaire. Ces derniers devraient prouver sans aucun doute que la préparation phagique testée est sûre et efficace. Les médicaments utilisés dans le cadre d’un essai clinique doivent être fabriqués selon les normes BPF. Les coûts d’une production conforme aux normes BPF sont élevés.

Cela entraîne donc des coûts de traitement élevés pour la phagothérapie hautement personnalisée, qui nécessite l’utilisation du phage adapté à chaque patient. Les phages individuels sont très spécifiques et ne combattent qu’une seule espèce bactérienne ou, dans la plupart des cas, seulement quelques-unes des nombreuses variantes d’une même espèce (appelées souches bactériennes).

En Belgique, qui a facilité l’accès à la phagothérapie, les phages doivent être produits par un laboratoire agréé selon des normes de qualité élevées, mais pas nécessairement selon les normes BPF. Cela réduit considérablement les coûts.

Centre de phagothérapie Suisse romande

Christian Van Delden a déclaré que son équipe travaillait désormais en collaboration avec le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Les chercheurs en phagothérapie du CHUV ont mis en place une production de phages conforme à la norme BPF. La production genevoise ne répond pas encore à cette norme. L’objectif est de créer ensemble un centre de phagothérapie pour la Suisse romande. Christian Van Delden n’a pas mentionné le coût de la production conforme à la norme BPF.

Philippe Moreillon, médecin, microbiologiste et professeur émérite à l’Université de Lausanne, a évoqué un autre obstacle lié à la nature personnalisée de la phagothérapie : il est difficile d’organiser des essais cliniques, car il est pratiquement impossible de réunir un groupe suffisamment important de patients atteints d’infections comparables. Pour résoudre ce problème, il faut faire preuve de créativité.

Christian Van Delden abonde. Ce problème ne peut être résolu que si tous les chercheurs et les autorités réglementaires importantes telles que Swissmedic, l’EMA en Europe et la FDA aux États-Unis travaillent ensemble. Les études doivent tenir compte de la personnalisation requise par le traitement par phages. Certaines études menées ces dernières années n’en ont pas tenu compte. C’est l’une des raisons pour lesquelles elles ont échoué.

Apprendre des autres disciplines

Thomas Häusler, du Forum Phagothérapie, est revenu sur le congrès sur les phages organisé par la Société européenne de microbiologie et des maladies infectieuses (ESCMID) organisé en novembre 2024, à Lyon. Dans ce cadre, des statisticiens ont expliqué comment ils menaient des études cliniques sur des maladies rares et pour lesquelles les groupes de patients sont restreints. Des procédures sont actuellement mises au point afin de pouvoir tirer des conclusions plus fiables à partir de groupes et de données plus petits. Selon Thomas Häusler, la phagothérapie doit s’inspirer de ces approches.

Le représentant de Swissmedic a estimé que les futures études cliniques sur la phagothérapie devraient se concentrer sur une indication, c’est-à-dire un type d’infection spécifique. Si un effet est démontré pour cette indication, le domaine d’application pourrait être élargi.

Michaela Egli, de l’Académie suisse des sciences médicales, a poursuivi cette réflexion et suggéré que la communauté scientifique clarifie sa vision de la phagothérapie : s’agit-il d’un remède d’urgence ou d’un outil à utiliser à plus grande échelle pour lutter contre la crise de la résistance aux antibiotiques ? Si l’on vise une utilisation plus large, des normes de qualité élevées sont particulièrements justifiées. Pour y parvenir, il faut se demander si les ressources sont actuellement utilisées à bon escient. Selon Michaela Egli, si le développement de la phagothérapie bénéficiait de ressources supplémentaires, il serait plus facile d’atteindre un niveau de qualité plus élevé.

Christian van Delden confirme : la crise de la résistance est un problème majeur et les phages pourraient contribuer à le résoudre. Pour cela, il faut investir davantage dans la recherche universitaire. Le fait que plusieurs entreprises spécialisées dans les phages aient fait faillite ces dernières années montre la difficulté de rentabiliser la phagothérapie, qui nécessite une personnalisation et un nombre de cas limités.

Comment aider plus que quelques personnes ?

Thomas Häusler a ensuite souligné que le chercheur en phagothérapie Jean-Paul Pirnay avait mentionné dans le film qu’il fallait des phages pour lutter contre environ 30 espèces bactériennes différentes. Jean-Paul Pirnay pense en effet que seuls les deux ou trois types les plus courants, tels que le Staphylococcus aureus et le Pseudomonas aeruginosa, pourraient permettre de développer des préparations économiquement viables. La question se pose alors de savoir comment aider les patients souffrant d’autres infections.

C’est sur ces points que se concentre le Forum Phagothérapie, a souligné Thomas Häusler. L’objectif est de lancer un débat sur les moyens nécessaires à la recherche et sur la manière de rendre cette méthode accessible à un plus grand nombre de patients atteints de maladies chroniques. Le forum part du principe que cela concerne plus de personnes qu’on ne le pense : de nombreuses causes peuvent entraîner des infections chroniques ou mortelles ; du diabète aux implants infectés en passant par les traitements anticancéreux immunodépresseurs et les maladies génétiques. Ce groupe très divers de patients est négligé. Le Forum Phagothérapie souhaite également changer cela.

Stefan Mühlebach, de la Table ronde suisse sur les antibiotiques, a salué le financement du film « Phagothérapie – la médecine devient virale » par l’Académie suisse des sciences naturelles, qui vise à mieux faire connaître la résistance aux antibiotiques et la phagothérapie et à soutenir la recherche multidisciplinaire de solutions.

* Prof. Dr. Christian Van Delden, Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG)
* Dr. Catherine Plüss-Suard, Université de Berne et Anresis
* Dr. Thomas Häusler, Forum Phagothérapie

Image: Andres Jordi

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