Tout savoir sur la phagothérapie et
la résistance aux antibiotiques


Comment les phages se multiplient : Ils se fixent à des endroits spécifiques de la surface des bactéries. Ils injectent ensuite leur patrimoine génétique à l’intérieur. En peu de temps, la bactérie produit d’énormes quantités d’éléments de phages. Les jeunes phages dissolvent la bactérie de l’intérieur. Une animation de ce cycle est disponible plus bas sur cette page.


Le phage NA32 infecte les bactéries Escherichia coli. Le NA32 appartient aux phages de type T4. Les particules de ce phage à tête claire contiennent encore leur matériel génétique. L’exemple à tête sombre et queue contractée a probablement injecté son matériel génétique dans une bactérie. Isolé des eaux usées par une élève lors de la Summer Science Academy 2019. Le Forum phagothérapie propose des ateliers similaires pour les écoles.

Le phage « HeinrichReichert » infecte des bactéries Escherichia coli. Il appartient aux phages de type V5. Isolé des eaux usées par un élève lors de la Summer Science Academy 2019. Le Forum phagothérapie propose des ateliers similaires pour les écoles.


Le phage « Ercole » infecte les bactéries Pseudomonas aeruginosa. Il appartient aux podovirus, qui ne possèdent qu’une courte queue tronquée. Il a été isolé dans les eaux usées par le chercheur Yannik Heyer.

Le phage EM80 infecte les bactéries Pseudomonas aeruginosa. Il appartient aux phages de type PB1. Certaines particules virales possèdent une queue très longue en raison d’erreurs d’assemblage. Isolé des eaux usées par le chercheur en phagothérapie Enea Maffei.

Le phage LH1 infecte les bactéries Escherichia coli. Il appartient à la famille des inovirus, qui forment de longs filaments (« virus spaghetti »). Il a été isolé dans l’eau du Rhin par un élève lors de la Summer Science Academy 2019. Le Forum phagothérapie propose des ateliers similaires pour les écoles.
(Image de gauche en couleur, © Fabienne Estermann)
Erfahren Sie Wichtiges und Spannendes über Phagen, Phagentherapie und Bakterien.
QU’EST-CE QUE LES PHAGES ?
Comme tous les virus, ces bactériophages ou «mangeurs de bactéries» sont principalement constitués de matériel génétique (ADN ou ARN) et de protéines.
Les phages ne peuvent pas se reproduire seuls. Ils ont impérativement besoin de bactéries pour cela :
Les phages se fixent à des endroits spécifiques de la surface des bactéries (en haut à gauche). Ils injectent ensuite leur patrimoine génétique à l’intérieur (en haut à droite). En peu de temps, la bactérie produit d’énormes quantités d’éléments de phages (en bas à gauche). Les jeunes phages dissolvent la bactérie de l’intérieur (en bas à droite).
Graphique : © Anne Seeger/SCNAT
Ou regardez l’animation.
COMMENT FONCTIONNE LA PHAGOTHÉRAPIE ?
La grande majorité des phages sont très spécifiques, c’est-à-dire qu’ils n’attaquent qu’une seule espèce de bactérie, voire un sous-groupe de celle-ci. (Les bactéries évoluent très rapidement et forment ce qu’on appelle des souches, des variantes d’une même espèce qui diffèrent les unes des autres par certaines caractéristiques.)
Pour pouvoir traiter un patient, il faut isoler la bactérie responsable de l’infection et tester en laboratoire si le phage que l’on souhaite utiliser est capable de la combattre.
Pour certaines espèces bactériennes, il est difficile, voire impossible à l’heure actuelle, de trouver des phages adaptés. Les médecins utilisent parfois des combinaisons de différents phages. Dans certains cas, cela permet d’empêcher le développement d’une résistance, car les bactéries deviennent non seulement résistantes aux antibiotiques, mais aussi aux phages.
Dans certains cas, les bactéries acquièrent toutefois cette résistance au prix d’une virulence moindre, c’est-à-dire qu’elles sont moins agressives dans l’organisme et peuvent être mieux combattues par le système immunitaire.
COMMENT SE COMPORTENT LES PHAGES DANS L’ORGANISME ET SONT-ILS ÉLIMINÉS APRÈS L’INFECTION ?
Les phages sont relativement gros par rapport aux agents chimiques. Ils atteignent néanmoins de nombreux tissus de l’organisme. Ils ont même déjà été détectés dans le cerveau d’animaux de laboratoire.
Cependant, on en sait encore trop peu sur leur comportement dans l’organisme. Des recherches supplémentaires sont nécessaires. De plus, différents phages peuvent se comporter différemment dans l’organisme en raison de leur composition différente. Par exemple, certains phages sont éliminés plus rapidement que d’autres par l’organisme. Certains stimulent aussi plus rapidement que d’autres la formation d’anticorps. Ces derniers peuvent inactiver les phages.
A la fin de l’infection, les phages ne peuvent plus se multiplier dans l’organisme, car ils n’ont plus de nourriture. Ils sont alors progressivement filtrés par l’organisme dans le sang, inactivés par les anticorps et éliminés ou dégradés dans l’urine. Une fois leur travail accompli, les phages disparaissent donc.
ET SI L’ON VOULAIT M’ADMINISTRER DES PHAGES ?
Cependant, nous ingérons chaque jour des milliards de phages dans notre alimentation. Les phages vivent ainsi en permanence dans notre organisme. Par exemple dans le tube digestif, dans la vessie, dans les voies respiratoires et sur la peau. Les phages ne sont donc pas étrangers à l’organisme.
Des chercheurs ont découvert dans l’intestin des lieux où les phages peuvent s’ancrer avec leur tête et étirer leurs fibres caudales vers l’intérieur de l’intestin. Il existe même une hypothèse selon laquelle l’organisme constituerait ainsi sa propre garde de phages comme première ligne de défense contre les bactéries dangereuses présentes dans l’intestin.
POURQUOI LA PHAGOTHÉRAPIE N’EST-ELLE PAS AUTORISÉE EN SUISSE ?
C’est une bonne question. Après tout, les phages sont connus depuis plus d’un siècle puisque le tout premier traitement par phages a eu lieu en 1919 (Thomas Häusler retrace l’histoire fascinante de la phagothérapie dans « Gesund durch Viren »).
En résumé, il n’existe à ce jour aucune étude clinique répondant aux normes actuelles et ayant clairement démontré l’efficacité des phages. De telles études seraient nécessaires pour obtenir une autorisation.
Au cours des premières décennies de la phagothérapie, de nombreuses études ont été menées, mais elles ne répondent pas aux exigences actuelles. Cela vaut également pour les études réalisées entre 1950 et la fin de l’Union soviétique (ou du moins celles qui sont connues aujourd’hui en Occident et qui sont accessibles – les études ont été publiées en russe).
La phagothérapie est la grande oubliée de la recherche scientifique en Occident après l’avènement des antibiotiques vers 1940. Les scientifiques occidentaux s’y sont à nouveau intéressés dès 1991, grâce à l’avènement des centres de phagothérapie de l’ex-Union soviétique (notamment celui de Tbilissi, en Géorgie). Quelques études cliniques ont ensuite été menées, mais elles se sont pour la plupart soldées par un échec. Plusieurs erreurs ont également été commises.
Pour de multiples raisons, la phagothérapie présente peu d’intérêt pour les grands groupes pharmaceutiques. Il est difficile de mener d’autres études, par ailleurs coûteuses. Des études à petite échelle sont néanmoins en cours, notamment sur les infections pulmonaires chez des patients atteints de mucoviscidose.
Cette thérapie est autorisée en Géorgie, pays où les phages sont très répandus.
DANS QUELLES CIRCONSTANCES A-T-ON RECOURS A LA PHAGOTHÉRAPIE EN SUISSE ?
Dans ce cas, un médecin peut recourir à une approche alternative. Il s’agit alors d’un traitement expérimental, fondé sur l’article 37 de la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale. En Suisse, la « Directive de délimitation entre thérapie standard et thérapie expérimentale dans des cas individuels » de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) fait autorité.
Avant tout traitement, le patient ou ses proches doivent être informés en détail du traitement et de ses risques et donner leur consentement. Aucune autorisation officielle n’est nécessaire. Les directives de l’ASSM stipulent que le médecin traitant doit demander l’avis d’un comité d’experts approprié ou au moins un deuxième avis, sauf si le risque est jugé minime. Dans certaines cliniques, la commission d’éthique compétente doit donner son accord. La responsabilité incombe au fabricant de la préparation phagique utilisée et au médecin traitant.
Si un traitement expérimental donné est administré à plusieurs reprises par un médecin ou une clinique, les directives de l’ASSM considèrent qu’il s’agit d’activités qui s’apparentent à un essai clinique et qui nécessitent une autorisation. Toutefois, elles précisent également que l’expérience du médecin joue un rôle. Dans la pratique, cela crée une zone grise (combien de traitements par phages effectués par un médecin ou une clinique peuvent encore être considérés comme des tentatives thérapeutiques individuelles ? Ne serait-il pas préférable que les traitements par phages soient effectués par des médecins expérimentés ?).
COMMENT LA PHAGOTHÉRAPIE EST-ELLE RÉGLEMENTÉE DANS D’AUTRES PAYS ?
Néanmoins, certains pays ont facilité l’accès à la phagothérapie malgré l’absence d’autorisation. En effet, sans ces mesures, les traitements par phages sont rarement utilisés, même en cas d’urgence, en raison des obstacles et des formalités administratives élevés.
La Belgique est considérée comme un pays pionnier en Europe en matière d’assouplissement. Les médecins y sont autorisés à utiliser des phages à condition qu’ils respectent les règles de sécurité et que le produit utilisé ait été fabriqué par un laboratoire certifié par l’État et contrôlé par un laboratoire certifié indépendant. Pour les spécialistes : l’approche de la « formule magistrale » est utilisée.
Malgré cette simplification, le nombre de traitements n’a pas augmenté de manière significative en Belgique après son introduction. Le Portugal a récemment adopté le système belge et l’UE y travaille également. Cependant, chaque État membre pourra décider s’il souhaite ou non introduire ce système.
Une pratique simplifiée existe également sous différentes formes en France, en Australie et, dans la pratique, aux États-Unis.
QUELLE EST L'EFFICACITÉ DE LA PHAGOTHÉRAPIE ?
Comme il n’existe à ce jour pratiquement aucune étude clinique concluante, il est difficile de se prononcer (voir: Pourquoi la phagothérapie n’est-elle pas autorisée en Suisse ?). Pour obtenir une évaluation fiable, il faudrait mener des études comparant l’effet d’un médicament à tester avec celui d’un médicament factice (placebo) ou d’un autre médicament.
Il existe toutefois une étude menée par l’hôpital militaire belge Queen Astrid (QAMH) qui fournit les meilleures indications disponibles sur l’efficacité de cette thérapie. Le QAMH dispose de la plus grande collection de phages à usage clinique en Europe, produit des préparations de phages de haute qualité et les met gratuitement à la disposition d’autres hôpitaux pour des traitements. L’équipe phage du QAMH enregistre tous ces traitements et leurs résultats.
En 2024, les chercheurs ont publié une étude sur les 100 premiers traitements réalisés avec les phages du QAMH :
- L’étude a confirmé que l’utilisation des phages est sûre.
- Dans environ 70 % des cas, une amélioration clinique a été constatée chez les patients.
- Dans environ 60 % des cas, les bactéries pathogènes n’étaient plus détectables après le traitement.
Dans de nombreux cas, les patients ont été traités avec des antibiotiques en plus des phages. Pour cette raison, et parce qu’il n’y avait pas de groupe témoin sous placebo, on ne peut pas affirmer avec certitude que les phages ont permis la guérison.
Toutefois, tous les cas concernaient des patients qui avaient été traités sans succès pendant des années, avec des antibiotiques. Il semble donc très probable que les phages aient joué un rôle important dans de nombreux cas.
Il existe de plus en plus de preuves que certains phages et antibiotiques ont un effet synergique, c’est-à-dire qu’ils sont plus efficaces en combinaison qu’individuellement. Cela a également été le cas dans certains cas de l’étude.
Le taux de réussite d’environ 60 % correspond à celui indiqué par certaines revues et une analyse sommaire des rapports de cas publiés. Les résultats de l’étude du QAMH ont plus de poids que ceux des rapports de cas : bien qu’il existe des rapports d’échecs, on peut s’attendre à ce que ceux-ci soient moins souvent publiés (les médecins et les publications préfèrent rendre compte des succès). L’étude du QAMH inclut tous les échecs de la série d’études.
CONTRE QUELLES INFECTIONS PEUT-ON UTILISER DES PHAGES ?
La phagothérapie est moins adaptée aux infections aiguës, car il faut d’abord isoler la bactérie responsable et tester les phages contre celle-ci. Cela prend au moins 2 à 3 jours, voire plus dans la plupart des cas.
Les infections incurables par la combinaison d’antibiotiques sont de bonnes candidates à la phagothérapie. Elles sont malheureusement plus nombreuses qu’on pourrait le penser. Les infections les plus fréquemment traitées par les phages sont les suivantes :
- Les infections liées aux prothèses articulaires, les infections après fractures et les infections osseuses (ostéomyélite).
Types de bactéries les plus fréquemment traitées : S. aureus, S. epidermis, P. aeruginosa - Les plaies chroniques et les inflammations (ulcères, souvent liés au diabète), les plaies infectées, généralement après une intervention chirurgicale
Types de bactéries les plus fréquemment traitées : S. aureus - Pneumonie, infections respiratoires, infections après une transplantation pulmonaire (souvent associées à une mucoviscidose)
Types de bactéries les plus fréquemment traitées : P. aeruginosa, A. baumannii -
Infections cardiaques, infections d’implants cardiaques et de prothèses vasculaires
Types de bactéries les plus fréquemment traitées : S. aureus, P. aeruginosa -
Infections graves et abcès dans les organes et autres tissus, empyème (accumulation de pus dans une cavité naturelle du corps), septicémie (« empoisonnement du sang »)
Types de bactéries les plus fréquemment traitées : S. aureus, A. baumannii - Infections des voies urinaires et de la prostate
Types de bactéries les plus fréquemment traitées : K. pneumoniae, E. coli, E. faecium
(Analyse tirée de T. Häusler und C. Kühn, « Bakteriophagen – Wenn Antiobiotika nicht mehr helfen » (Les bactériophages – Quand les antibiotiques ne sont plus efficaces)
QUELS SONT LES AVANTAGES ET LES INCONVÉNIENTS DE LA PHAGOTHÉRAPIE ?
Voici une liste des principaux avantages et inconvénients :
Avantages
- Les phages agissent également contre les bactéries résistantes à tous les antibiotiques.
- Les phages sont très spécifiques et ne nuisent pas aux bactéries utiles qui vivent dans et sur le corps. Il n’y a donc pas d’effets secondaires ni d’infections secondaires, comme cela peut être le cas avec les traitements antibiotiques.
- Grâce à leur spécificité, les phages ne favorisent pas l’apparition de résistances chez les bactéries utiles qui vivent dans et sur le corps. Ces résistances se transmettent facilement entre bactéries. En cas de déficience immunitaire, un tel germe peut devenir dangereux.
- Le traitement par phages peut être adapté spécifiquement au type d’infection.
- Lorsque des phages bien purifiés sont utilisés, il n’y a pratiquement pas d’effets secondaires.
- Les phages sont un médicament « intelligent » : ils se multiplient à l’endroit de l’infection jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de bactéries. Ils sont ensuite éliminés. Grâce à cet effet, il peut suffire dans certains cas que seuls quelques phages atteignent un site infectieux difficile d’accès.
- Si une bactérie devient résistante à un type de phage, il est généralement possible de trouver un autre phage actif. L’évolution assure un approvisionnement « inépuisable ».
- Des stratégies telles que la combinaison de plusieurs phages permettent de ralentir le développement de la résistance.
- Les bactéries qui deviennent résistantes aux phages perdent souvent leur virulence et/ou leur résistance aux antibiotiques et peuvent ainsi être à nouveau combattues par des antibiotiques et/ou par le système immunitaire.
- Les phages agissent en synergie avec certains antibiotiques.
- Certains phages peuvent dissoudre les biofilms et/ou les rendre sensibles aux antibiotiques.
Inconvénients
- Il n’existe pas encore de preuve formelle de l’efficacité des phages issue d’études cliniques.
- Les connaissances sur la pharmacologie et l’interaction avec le système immunitaire sont insuffisantes. Il n’existe pas de directives ni de normes comme pour l’antibiothérapie. De nombreux médecins ne disposent pas des connaissances nécessaires, de sorte que le patient doit rechercher un médecin compétent. (Les phages sont plus difficiles à utiliser que les antibiotiques).
- En raison de la spécificité élevée des phages, un diagnostic précis de l’infection est nécessaire. Cela prend du temps et retarde le traitement. Les infections aiguës sont donc moins adaptées à la phagothérapie. (La thérapie dite empirique, qui consiste à utiliser d’abord un produit puis à poser le diagnostic, est pratiquement impossible).
- Les infections multi bactériennes doivent être identifiées comme telles. Dans de nombreux cas, des phages supplémentaires sont nécessaires pour le traitement.
- Dans certains cas, il est nécessaire de disposer de connaissances précises sur la biologie de l’infection à traiter, qui font encore défaut.
- Dans certains cas, une résistance apparaît très rapidement. La recherche de nouveaux phages peut être très coûteuse, longue, voire vaine.
- Pour certaines espèces bactériennes, il n’existe encore pratiquement pas de phages dans les banques de phages.
- Contre certains phages et/ou certaines formes d’administration, le système immunitaire produit des anticorps qui peuvent réduire l’efficacité du traitement. On ignore encore largement si cela compromet le succès d’un nouveau traitement avec les mêmes types de phages en cas d’infection ultérieure.
- Certains tissus ou organes et l’intérieur des cellules pourraient être difficilement accessibles pour les phages relativement gros. Les connaissances à ce sujet sont insuffisantes.
- Les phages utilisés doivent être caractérisés avec précision afin de s’assurer qu’ils ne contiennent pas de gènes dangereux et qu’ils ne les transmettent pas aux bactéries présentes dans l’organisme.
- Il existe de nombreux phages différents avec des caractéristiques variées. Parfois, de petits changements peuvent modifier considérablement certaines propriétés. Cela peut compliquer la planification d’un traitement.
- La durée de conservation des phages varie et doit être testée et surveillée.
LA PHAGOTHÉRAPIE A-T-ELLE DES EFFETS SECONDAIRES ?
En médecine, il n’existe pratiquement aucun principe actif sans effets secondaires. Les études et expériences menées jusqu’à présent montrent que les effets secondaires des phages sont faibles, à condition que les principes de sécurité importants soient respectés. Il faut notamment que les phages utilisés pour le traitement soient suffisamment purifiés et que leur génome ne contient aucun gène dangereux. Certains phages, par exemple, sont porteurs de gènes qu’ils peuvent transmettre aux bactéries et qui les rendent plus virulentes pour l’homme. C’est pourquoi le génome des phages est décodé et recherché pour détecter la présence de tels gènes avant leur utilisation en thérapie.
Les études animales permettent de mener des recherches qui ne sont guère autorisées chez l’homme pour des raisons éthiques. Par exemple, des chercheurs ont étudié chez des moutons l’effet de la phagothérapie sur la sinusite. Durant trois semaines, une solution de phages a été injectée deux fois par jour dans le sinus frontal des animaux à l’aide d’une canule insérée dans l’os à côté du nez. Outre des échantillons de sang et de selles, les chercheurs ont également examiné la réaction des cils vibratiles dans les sinus et des tissus des voies respiratoires, des poumons et d’autres organes (cœur, foie, rate et reins). Ils n’ont constaté aucune anomalie.
Lorsqu’un foyer infectieux important est éliminé en peu de temps, des substances toxiques peuvent être libérées par les bactéries ou stimuler une forte réaction du système immunitaire. Cela vaut en particulier pour les bactéries dites gram-négatives. Il peut en résulter de la fièvre, des frissons et des réactions de choc. Cet effet est connu dans le cadre d’un traitement antibiotique (même si les liens exacts restent flous). Des réactions analogues sont attendues dans le cadre de la phagothérapie, notamment parce que la multiplication des phages peut être fulgurante, du moins en culture, et libérer en peu de temps de grandes quantités de substances problématiques.
Certaines études ont constaté des modifications de certains paramètres immunitaires pendant un traitement par phages, mais d’autres études n’ont pas observé ce phénomène. La signification biologique de ces modifications est inconnue et aucun résultat cliniquement pertinent n’a été obtenu à ce jour. Il est recommandé d’étudier ces aspects plus en détail à l’avenir.
QU’EST-CE QU’UNE BANQUE DE PHAGES ET A QUOI SERT-ELLE ?
La grande majorité des phages sont très spécifiques, c’est-à-dire qu’ils n’attaquent qu’une seule espèce de bactérie, voire un sous-groupe de celle-ci. (Les bactéries évoluent très rapidement et forment ce que l’on appelle des souches, des variantes d’une même espèce qui se distinguent les unes des autres par certaines caractéristiques.)
Pour pouvoir traiter différentes infections, il faut donc disposer d’une collection de différents phages couvrant différentes espèces bactériennes et différentes souches au sein d’une même espèce. Une telle collection est appelée banque de phages. Il existe plusieurs banques de phages dans le monde, certaines étant spécialisées dans les phages de certaines espèces bactériennes.
Si un patient doit être traité et qu’aucun phage approprié n’est disponible localement, celui-ci est recherché dans les banques de phages du monde entier et généralement mis à disposition.
COMMENT TROUVE-T-ON DE NOUVEAUX PHAGES ?
Le moyen le plus simple de trouver des phages est de rechercher leur source de nourriture, c’est-à-dire les bactéries. De nombreuses bactéries d’intérêt médical se trouvent dans les eaux usées des hôpitaux, c’est pourquoi les chercheurs en phagothérapie y recherchent souvent des phages.
On en trouve également dans les stations d’épuration ou dans les rivières. Une patiente a déjà été traitée avec un phage qu’une élève avait trouvé dans un échantillon prélevé sous une aubergine pourrie dans le cadre d’un cours de biologie.
Pas d’inquiétude : les phages utilisés à des fins thérapeutiques proviennent de sources très indirectes. Ils ont été examinés en laboratoire, multipliés et soigneusement purifiés.
POURQUOI LES EXPERTS PARLENT DE DEUX APPROCHES DE LA PHAGOTHÉRAPIE ?
Cette « approche artisanale » est difficilement transposable dans un modèle commercial rentable pour les entreprises pharmaceutiques (même si cela a été tenté).
C’est pourquoi certaines entreprises travaillent sur des médicaments composés d’une combinaison fixe de phages pour un type de bactérie spécifique, par exemple Staphylococcus aureus. La combinaison de plusieurs phages vise à garantir la couverture d’un spectre plus large de souches de staphylocoques. Sinon, le médicament ne serait efficace que chez un nombre réduit de patients ou dans certaines régions du monde.
Outre leur meilleure rentabilité, ces cocktails de phages standardisés présentent l’avantage de faciliter la démonstration de l’efficacité du médicament dans le cadre d’un essai clinique.
Il existe toutefois des inconvénients. Malgré la combinaison de plusieurs phages, ce « cocktail » ne pourra pas couvrir l’ensemble des cas, rendant alors le traitement inefficace. Mais le plus grave est probablement que les bactéries développent une résistance à ces « cocktails ». Il faudrait alors remplacer la recette de combinaison des phages.
La procédure d’autorisation existante n’est pas conçue pour cela. Si elle n’est pas adaptée à ces « réalités phagiques », chaque adaptation d’un cocktail nécessiterait de nouveaux essais cliniques. Cela serait peu rentable. Des efforts sont en cours pour adapter la réglementation. Mais malgré plusieurs années de discussions, cela n’a pas encore abouti.
Un autre inconvénient est que les traitements par phages sont nécessaires pour environ 30 espèces de bactéries. Certaines d’entre elles étant peu fréquentes, le développement d’un cocktail de phages ne serait rentable pour les entreprises pharmaceutiques que pour quelques espèces. Les patient·e·s atteints d’infections non couvertes resteraient sans aide.
COMMENT EXPLIQUER LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES ?
De nombreux agents antibiotiques proviennent de micro-organismes. Ceux-ci les produisent afin de se réserver une place dans leur environnement colonisé par d’autres microbes. Mais les micro-organismes attaqués produisent des défenses pour survivre à l’attaque toxique. Ils développent ainsi une résistance à l’agent actif.
Les bactéries sont passées maîtres dans l’art de l’évolution et ont développé d’innombrables stratégies de défense et substances contre les antibiotiques, qu’elles continuent de perfectionner. Les micro-organismes se transmettent entre eux les gènes nécessaires à cette fin. Tout cela conduit à l’apparition rapide de résistances à la plupart des antibiotiques.
AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DES ANTIBIOTIQUES
- Il existe un grand nombre d’antibiotiques dont l’efficacité contre de nombreux types de bactéries et d’infections a été prouvée.
- L’utilisation et le comportement de la plupart des antibiotiques sont bien connus. Il existe des directives et des normes qui, dans de nombreux cas, sont faciles à appliquer par les médecins.
- Il existe des antibiotiques à large spectre qui peuvent être utilisés immédiatement en cas d’urgence, lorsque le type de bactérie responsable de l’infection n’est pas connu.
Inconvénients
- Certaines espèces bactériennes ont développé une résistance étendue aux antibiotiques. Il existe des souches contre lesquelles (presque) aucun médicament n’est efficace. Certaines espèces bactériennes sont naturellement insensibles à de nombreux principes actifs.
- En raison de l’évolution, tous les antibiotiques finissent tôt ou tard par développer une résistance. La recherche de nouvelles substances actives est très complexe et coûteuse, et elle stagne depuis des années pour diverses raisons.
- L’utilisation inappropriée des antibiotiques est très répandue (selon les pays). Cela favorise le développement de résistances.
- Les antibiotiques à large spectre, en particulier, rendent également résistantes les bactéries inoffensives présentes dans l’organisme. Ces résistances se transmettent facilement entre bactéries. En cas de déficience immunitaire, un tel germe peut devenir dangereux.
- Les antibiotiques tuent également les bactéries utiles dans l’organisme. Cela peut entraîner un déséquilibre de la flore cutanée ou intestinale, avec des conséquences désagréables, voire dangereuses (infections secondaires, diarrhée).
- Certains antibiotiques peuvent avoir des effets secondaires importants (allant de lésions auditives à des ruptures tendineuses).
- De nombreux antibiotiques dits « de dernière ligne » ont des effets secondaires particulièrement graves, tels que des lésions rénales. Leur utilisation doit parfois être interrompue pour cette raison. Les alternatives thérapeutiques sont alors encore plus rares.
- Lorsqu’une partie du corps est mal irriguée, par exemple en raison d’un diabète, il est difficile d’atteindre la concentration nécessaire en principe actif au niveau du foyer infectieux.
- Les infections associées à des biofilms, qui se développent facilement sur les implants de toutes sortes, répondent souvent mal à un traitement antibiotique.
LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES NE ME CONCERNE PAS
Les personnes diabétiques souffrent souvent d’infections au niveau des pieds (« pied diabétique »). Les bactéries responsables sont souvent résistantes aux antibiotiques ou le deviennent au cours du traitement.
Cancer
De nombreux traitements contre le cancer et autres traitements médicaux modernes affaiblissent le système immunitaire. Des infections bactériennes difficiles à traiter, voire mortelles, peuvent alors apparaître.
Malgré toutes les précautions prises, la pose d’articulations artificielles et d’autres implants peut entraîner des infections souvent difficiles à traiter. Elles peuvent nécessiter une amputation.
Infections urinaires
Certaines personnes souffrent d’infections urinaires persistantes qui réapparaissent régulièrement au fil des ans.
Fibrose kystique
Certaines maladies congénitales telles que la mucoviscidose peuvent entraîner des infections chroniques. En Suisse, 800 à 1000 personnes sont atteintes de mucoviscidose.
Voies respiratoires
Les infections des sinus peuvent également devenir chroniques. Les antibiotiques n’ont alors qu’une efficacité limitée.
Mauvais souvenirs de voyages
Des études montrent que les Suisse-sse-s qui rentrent dans leur pays après avoir séjourné dans des pays où la résistance aux antibiotiques est très élevée ramènent avec eux des germes résistants. Dans le cas de l’Inde, ce chiffre dépasse 85 %. Souvent, ces bactéries résistantes disparaissent ensuite de la flore intestinale. Mais elles peuvent infecter des personnes affaiblies.
Comment fonctionnent les essais cliniques ?
Conception d’essais cliniques
On procède ainsi à ce qu’on appelle un essai randomisé en double aveugle. Les participants à l’étude sont répartis en deux groupes de manière strictement aléatoire (randomisée). Un groupe est traité avec le médicament testé, l’autre avec un médicament sans principe actif (placebo). Ni les médecins traitants ni les patients ne savent qui reçoit le médicament testé et qui reçoit le placebo (double aveugle). Cela permet de s’assurer que les médecins n’appliquent pas, par exemple, une systématique inconsciente dans la répartition des groupes ou ne sont pas partiaux dans l’évaluation de l’effet (parce qu’ils considèrent, par exemple, que le médicament est efficace).
Phases des essais cliniques
Ces études sont menées en plusieurs phases. Au cours de la phase préliminaire, le médicament est testé sur des animaux de laboratoire : est-il efficace ? N’entraîne-t-il pas d’effets secondaires trop importants ? Au cours de la première phase, le médicament est testé sur un petit nombre de patients, pour la plupart en bonne santé, afin de vérifier s’il provoque des effets secondaires importants. Au cours de la deuxième phase, la dose optimale est déterminée sur un nombre légèrement plus important de patients et les effets secondaires sont à nouveau observés. L’effet n’est testé qu’en second lieu. Au cours de la troisième phase, qui porte généralement sur plusieurs centaines à quelques milliers de patients, l’efficacité est déterminée. C’est également à ce stade que des effets secondaires plus rares apparaissent. Si le rapport entre l’effet et les effets secondaires est favorable (rapport bénéfice/risque), le médicament peut être autorisé par l’autorité compétente (Swissmedic). Les études randomisées en double aveugle sont considérées comme la référence en matière de tests de médicaments.
Limites dans le domaine des maladies rares
Toutefois, elles atteignent leurs limites dans le cas de maladies rares touchant peu de patients. Il est alors parfois impossible de trouver suffisamment de patients présentant le tableau clinique à traiter dans un délai raisonnable. Cela vaut également pour certaines infections, car elles se manifestent sous de nombreuses formes différentes, par exemple différents agents pathogènes, différents types d’infections et différents sites d’infection dans l’organisme.
Qu'est-ce que les bonnes pratiques de fabrication ?
Les médicaments commercialisés doivent être fabriqués conformément aux bonnes pratiques de fabrication (BPF). Il s’agit d’un ensemble de normes, de procédures et d’exigences en matière de documentation. Cela permet de garantir qu’un médicament est fabriqué avec une qualité constante.
Les BPF entraînent des coûts considérables, mais ceux-ci sont moins importants « par comprimé » dans le cas de la fabrication de médicaments couramment utilisés.
Dans le cas de la phagothérapie personnalisée, ces coûts peuvent toutefois être si élevés que certains experts affirment qu’ils rendent cette thérapie impossible.
En Belgique, les phages ne doivent pas être fabriqués selon les BPF, conformément à la réglementation locale. La préparation est toutefois si bonne que les phages belges ont été utilisés à plusieurs reprises par voie intraveineuse sans effets secondaires majeurs. Cela vaut également pour les phages provenant de certains laboratoires d’autres pays.
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Comment les phages se multiplient dans les bactéries – et les tuent
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Graphique et animation : © Anne Seeger/SCNAT
Extrait du blog
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